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Article : Fenêtres ou miroirs? La diversité dans les jeux vidéo

Ce que nous voyons, et ne voyons pas, dans les médias affecte notre perception de la réalité. Les œuvres médiatiques peuvent être imaginées comme des miroirs qui reflètent la propre expérience du public, des fenêtres qui lui donnent accès à des expériences qu’il n’aurait pas connues autrement ou, dans certains cas, les deux : selon Rosemary Truglio, vice-présidente principale à Sesame Workshop, la diversité de la distribution de l’émission Sesame Street donne aux enfants « un miroir pour qu’ils se voient eux-mêmes et une fenêtre pour qu’ils apprennent à connaître les autres ».

Il est important de voir dans les médias à la fois des miroirs et des fenêtres. Si vous ne voyez jamais votre reflet dans les médias (miroirs) ou que les reflets que vous voyez sont très limités ou inexacts, votre estime de vous-même et vos résultats scolaires peuvent en souffrir et vous pourriez être portés à croire qu’il y a une limite à ce que vous pouvez faire dans la vie. Si vous ne voyez pas d’autres groupes (fenêtres) ou n’en voyez que des représentations inexactes, il peut être facile de croire aux stéréotypes les concernant.

Les stéréotypes proviennent de la présomption que tous les membres d’un groupe particulier partagent les mêmes particularités ou qualités : par exemple, tous les athlètes sont des idiots ou les hommes sont des cancres en matière de tâches ménagères telles que faire la cuisine ou la lessive. Les stéréotypes peuvent être positifs ou négatifs, mais la plupart tendent à nous donner un sentiment de supériorité face à la personne ou au groupe de personnes faisant l’objet du stéréotype.

Les stéréotypes font abstraction du caractère unique des gens en dépeignant tous les membres d’un groupe de la même manière. Presque tous les groupes de personnes peuvent faire l’objet de stéréotypes, mais certains des stéréotypes les plus communs se basent sur l’ethnicité, la religion, l’orientation sexuelle et les capacités. Les stéréotypes sur un groupe peuvent influencer le regard de la société sur lui et modifier ses attentes à son égard.

Par contre, le fait de nous voir ou de voir d’autres groupes représentés fidèlement dans les médias peut atténuer les stéréotypes que nous entretenons, ce qui peut avoir des effets positifs sur notre estime et même nous rendre moins susceptibles d’entretenir des préjugés. Les jeux vidéo ne font pas exception à la règle, mais comme ils sont interactifs, nous devons envisager la diversité d’une manière un peu différente. Pour déterminer si un jeu vidéo agit comme un miroir ou une fenêtre (ou les deux), et pour quels groupes, deux choses doivent être examinées.

Les possibilités d’un jeu désigne ce que vous êtes autorisé à faire dans le jeu. Certaines possibilités sont toujours offertes, tandis que d’autres sont conditionnelles. Par exemple, dans la plupart des jeux de plateforme comme la série Super Mario, vous pouvez toujours courir et sauter, mais vous ne pouvez pas toujours lancer des boules de feu (après avoir obtenu la fleur de feu). Dans bon nombre de jeux, vous pouvez parler à certains personnages, mais pas à d’autres : dans World of Warcraft, par exemple, vous pouvez généralement parler aux personnages qui sont du même côté que vous, alors que ceux de l’autre camp semblent parler du charabia.

Les valeurs par défaut étant les « règles » de l’univers du jeu, elles envoient un message fort. Par exemple, de nombreux jeux vous permettent de fréquenter d’autres personnages ou de les épouser (dans certains jeux, comme les simulations de rencontres, c’est là tout l’intérêt du jeu). La possibilité de le faire ou non avec des personnages du même sexe peut avoir un impact sur la représentation des personnes 2SLGBTQI+ dans le jeu, et peut avoir un impact encore plus grand en offrant une fenêtre aux hétérosexuels pour comprendre l’expérience des autres. Pour d’autres groupes, comme les personnes transgenres, la possibilité de jouer un personnage qui correspond au genre auquel ils s’identifient, plutôt qu’à celui qui leur a été assigné à la naissance, peut être un « miroir » extrêmement positif et même une étape dans leur processus de transition.

Un autre élément peut être tout aussi important : les valeurs par défaut d’un jeu, c’est-à-dire ce qui est attendu de vous ou ce qui se produit si vous ne choisissez pas activement de faire autrement. Par exemple, certains jeux comme Fortnite et Minecraft vous permettent de changer l’apparence de votre personnage, mais si un jeu sur quatre vous permet de choisir sa race, 60 % d’entre eux proposent par défaut un personnage blanc, à moins que vous ne le changiez activement.

Pour la majeure partie de l’histoire des jeux vidéo, les personnages par défaut ont été des hommes blancs sans incapacité considérés comme hétérosexuels ou cisgenres. Comme le dit Rico Norwood, créateur de jeux vidéo, « historiquement, la blancheur était considérée comme la valeur par défaut, un privilège qui n’est pas accordé aux personnes de couleur ». Dans bon nombre de jeux, les personnages noirs n’étaient disponibles qu’en tant que « deuxième joueur », c’est-à-dire qu’il n’était possible de jouer un personnage noir que si quelqu’un d’autre jouait déjà un personnage blanc.

Mais faire du personnage par défaut un membre d’un groupe sous-représenté peut faire d’un jeu une fenêtre puissante. Le jeu Spider-Man: Miles Morales de 2020 est l’un des rares jeux à gros budget qui vous oblige à jouer un personnage non blanc, ce qui va à l’encontre de l’idée de la blancheur par défaut. Donner aux joueurs la possibilité de se représenter fidèlement dans un jeu est un élément important pour présenter des miroirs authentiques dans les jeux vidéo.

Nadine Dornieden, une femme noire, a eu cette réaction lorsqu’elle a vu les options de personnalisation dans Guild Wars 2 :

Non seulement il y a des “dreadlocks” et des tresses qui ne ressemblent pas à des spaghettis Play-Doh, mais il y a aussi de vraies coiffures qui présentent des dreadlocks et des tresses de façon réaliste et élégante. Un simple coup d’œil aux coiffures présentées révèle que des personnes noires ont été consultées ou respectueusement observées lors du processus de création de la personnalisation. J’en ai eu les larmes aux yeux lorsque j’ai réalisé à quel point les options de personnalisation de Guild Wars 2 étaient bien faites.

 

Contrairement au cinéma ou à la télévision, tout le contenu qui se trouve dans un jeu vidéo doit être conçu et mis en œuvre à partir de zéro, ce qui signifie que leur faire jouer un rôle de miroir ou de fenêtre peut représenter un défi technique. Ion Hazzikostas, directeur de l’extension Shadowlands de World of Warcraft, a expliqué pourquoi le jeu n’offrait auparavant pas une gamme diversifiée de traits de visage et de coiffures : « Il s’agit en partie de contraintes techniques, liées à la façon dont les choses étaient conçues, et du nombre de textures différentes qui pouvaient être appliquées à un seul modèle à partir du moteur d’il y a 15 ans. Mais ce sont des lignes de code qui peuvent être modifiées. Et oui, la vraie question est de savoir pourquoi nous ne l’avons pas fait plus tôt. »

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