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Article 1 : « Décoloniser le journalisme »

Extrait de Decolonizing Journalism de Duncan McCue, publié par Oxford University Press. Utilisé avec autorisation. McCue est un animateur radio primé, un auteur et un professeur. Il est Anishinaabe et membre de la Première Nation des Chippewas de Georgina Island dans le sud de l’Ontario.

Il existe une longue tradition de non-Autochtones qui viennent dans les communautés autochtones, s’enquièrent de la vie des gens, leur demandent leur histoire, puis repartent. Ces visiteurs interprètent ce qu’ils voient et entendent – ​​dans des livres, des rapports, des études, des films ou des photos. Les Autochtones n’ont pas eu leur mot à dire sur la manière dont ces histoires leur sont racontées ; dans de nombreux cas, elles ne leur parviennent même jamais.

Les journalistes, grâce à leur expertise en recherche et en communication, sont bien outillés pour partager et promouvoir des alternatives possibles en rendant compte de première main des expériences, en partageant des données et en faisant participer le public au dialogue et au débat. Mais est-ce faire de la défense d’intérêts que de rechercher des intérêts communs aux peuples autochtones et au reste du Canada? Prenons par exemple le vieil adage « il y a deux côtés à chaque histoire ». Lorsqu’ils sont dans l’obligation de rendre leur rapport, les journalistes se contentent souvent de présenter « les deux côtés » d’un problème, faisant confiance au public pour qu’il se fasse une opinion sur ce qui est vrai et ce qui est faux. Le journaliste n’a peut-être pas trahi de parti pris, mais il n’a pas non plus poussé l’histoire vers une compréhension plus profonde de la vérité.

Laissons de côté (pour un instant) la question de savoir quel type d’histoires est considéré comme digne d’intérêt. Considérons plutôt les petits actes de partialité dans les reportages quotidiens. Par exemple, il est inhabituel de mentionner la blancheur dans la plupart des reportages. Vous souvenez-vous d’une fois où vous avez vu le premier ministre du Canada décrit comme « blanc »? … Pourtant, il est courant que les médias utilisent un identifiant racial si le sujet est autochtone… Toute personne qui n’est pas blanche est par conséquent considérée comme autre.

Pour les peuples autochtones, le fait d’être régulièrement dépeints dans les médias comme des personnes démunies a de réelles conséquences. L’autonomie gouvernementale et l’autodétermination sont des objectifs pour de nombreuses communautés autochtones, mais d’autres Canadiens peuvent considérer ces aspirations comme une menace pour leur mode de vie et leur niveau de vie. Si les reportages sur les peuples autochtones montrent que ces derniers sont incapables d’exercer un contrôle sur leur propre vie, le public est encore moins susceptible de soutenir le transfert de pouvoir ou de ressources. En d’autres termes, [si vous êtes journaliste], votre reportage peut involontairement devenir un instrument de préservation du statu quo au Canada… Comment pouvez-vous changer cela? En tenant compte de la race et de la culture lorsque vous concevez votre reportage… Assurez-vous d’inclure les peuples autochtones de manière substantielle dans un reportage sur les peuples autochtones.

Quiconque travaille avec des peuples autochtones doit connaître un ensemble de lignes directrices conçues pour décoloniser les relations de recherche entre les peuples autochtones et les pays occidentaux. Ces principes sont connus sous le nom de PCAP, qui signifie « propriété, contrôle, accès et possession ». Ces quatre lignes directrices éthiques ont été élaborées par le First Nations Information Guidance Centre en 1998 pour régir la collecte de données. En bref, le PCAP reconnaît l’importance de la possession par les peuples des Premières Nations de leurs propres données et vise à empêcher les chercheurs non autochtones d’exploiter les communautés autochtones. La propriété suppose qu’une communauté possède collectivement des connaissances ou des données culturelles. De la même manière qu’un individu possède des informations personnelles, le consentement de la communauté est requis pour utiliser ses connaissances. Le principe de contrôle affirme que les peuples autochtones ont le droit de contrôler divers aspects de la recherche les concernant, y compris la formulation de cadres de recherche. L’accès est la capacité des peuples autochtones à récupérer et à examiner les données qui les concernent, eux et leurs communautés. Le principe de possession fait référence à la possession réelle des données. De nombreuses Premières Nations s’attendent désormais à ce que les universitaires intègrent le PCAP dans leurs propositions. Les éthiques de recherche des journalistes et des universitaires entrent parfois en conflit, mais les membres des communautés autochtones n’apprécient ou ne comprennent souvent pas ces différences.

Si les disparitions et les assassinats de femmes autochtones sont devenus le sujet autochtone le plus couvert par les médias canadiens en 2014-2015, ce n’est pas parce que le problème en lui-même était nouveau : les femmes et les filles autochtones disparaissaient depuis des décennies sans que les médias grand public ne les remarquent vraiment. Ce qui a changé, c’est que les militants et les membres des communautés autochtones ont eu les moyens de diffuser des histoires qui les intéressaient, et cela a influencé les programmes politiques grand public, ce qui a forcé les médias à les écouter.

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